mardi, mars 15, 2005

La vie en communité: boire, mais aussi déboires

Je suis présentement relativement pissed off à propos d'une certaine situation à la résidence, et puisqu'un détour nocturne par de sombres routes sur Port Island et l'attaque pleine de frustration inside d'un paquet de biscuits au chocolat ne suffisent pas encore pour me détendre totalement, je vais déverser un peu mon ire et mon venin par ici. Le risque de manque d'objectivité est de fait important, il est bon de prendre ce détail en considération.

Je suis actuellement dans une phase de high tension que j'ai pour tout dire un peu de mal à expliquer, et même si mes tendances "soupe au lait" sont communément reconnues, j'ai l'impression que je perds de plus en plus rapidement patience ces jours-ci.
Exposons le problème. Attention, cela promet de n'être pas follement passionant, et surtout, cela touche à un sujet que je n'aime pas spécialement aborder: l'argent.
Mais soit.

Je reçois une bonne bourse du gouvernement japonais pour cette année à Kôbe, un équivalent de 1000 euros par mois, et je sais pertinemment que de fait, je suis privilégiée par rapport à d'autres personnes. Parfois, je me sens même mal à ce propos, de voir certains dans des problèmes, que je connais pour les avoir vécus auparavant mais qui ne concernent pour autant pas mon état actuel. Et le fait est que j'ai déjà prêté/donné des sommes plus ou moins importantes à différentes personnes pour dépanner certaines situations.
Pour en venir rapidement au coeur de ce qui me met en rogne, je ne supporte pas l'attitude qu'a Dave ces derniers temps, un des fellows de la bande, français tout comme moi, qui partage le repas du soir avec moi et Gandi depuis environ deux mois. Non seulement sa façon de se comporter à table me donne invariablement l'envie de m'enfuir de la cuisine (personne ne lui a jamais appris quand il était enfant ou fait la remarque que... quand on mange, on ferme la bouche!????? Oh my god... j'ai jamais entendu ça, il est si bruyant, ça me donne des sursauts convulsifs de dégout!), mais en plus il incarne l'exemple parfait du parasite, tel qu'on aimerait vraiment se passer.
Pour en revenir à la situation de base, nous avons pris l'habitude donc de manger ensemble le soir, ce qui signifie aller faire les courses, cuisiner, manger et faire la vaisselle quotidiennement ensemble; autrement dit de PARTAGER les frais et les tâches en plus de se tenir (normalement joyeusement) compagnie.
Mais sérieusement, "donnez une phalange, on vous dévore le bras", hein. Je déteste les proverbes stupides, mais malheureusement, on en arrive vraiment là.

Prenons Gandi. Lui aussi a des problèmes d'argent, mais tout se passe bien. Peut-être que quelque part je suis plus concessive, mais pour bien le connaître, et partager également les repas de midi ensemble, je sais que si je paye une chose, il payera autre chose, peu importe le décompte précis, ou se rendra présent et actif. Juste le sentiment que chacun de nous s'investit d'une manière ou d'une autre. Pareil pour la préparation du repas, que l'on fait ENSEMBLE, ou la vaisselle qui est faite par la personne la plus disposée au moment précis (sans que , naturellement, ce soit toujours la même). Idem pour les attentions. J'ai un hang over et je suis affalée dans mon lit, je reçois une brique de jus d'orange. Il a travaillé tout l'après-midi sur l'ordinateur, je vais lui acheter du chocolat. C'est "naturel" presque.

Actually avec Dave par contre, j'ai l'impression que la notion de "sharing", qui est quelque part une des joies de la vie communautaire, se transforme de plus en plus en un "you're just a stupid fool lady"...

Exemple courant:
dave: "Let's go to Daiei, it's already past eight and I'm hungry". (Daiei, c'est le supermarché)
melanie "Ok, we can go. Do you have any money?"
dave "...No. You can feed me?"
melanie "..............yes...."

Ou alors, dans un autre registre mais tout aussi courant, Monsieur n'est pas assez en forme pour aller faire les courses, so Gandi & moi nous chargeons de la tâche, rentrons, préparons pendant plus d'une demi-heure dans la cuisine du troisième étage, et juste au moment où l'on pose les plats fumants sur la table, "oh surprise, timing parfait!", voilà Dave qui apparaît dans l'entrebaîllement de la porte. Il ne lui reste alors plus qu'à poser ses petites fesses sur la chaîse et se remplir la panse (comme quatre évidemment), de rentrer dans quelques arguments soporifiques d'informaticien qui veut toujours avoir raison, avant de repartir fissa dans sa chambre pour parler à sa girlfriend sur internet.

Je ne compte pas les "tu m'invites?" qu'il m'a sorti ces derniers temps, et malgré la colère qui commençait lentement mais sûrement à me monter à la tête, je ne l'ai jamais envoyé promener.
Récemment j'en ai tout de même lâché un mot à Gandi, sur un conseil belge et avisé, je lui ai dit que la situation avec Dave m'irritait un peu, mais en grand philosophe raggamuffin il me dit "Tu sais, une des choses que j'ai appris quand je vivais en Chine, c'est qu'il y a toujours quelqu'un qui a besoin de toi, de ton aide, et pour qui tu dépenses de l'argent, mais ce n'est pas un problème parce que tu sais que quelqu'un d'autre fera la même chose pour toi".
Yep, of course. Une belle phrase qui illustre quelque chose que j'ai déjà bien intégré je crois, et franchement je n'ai pas l'impression d'agir en ne pensant qu'à moi. Mais soit, ma réponse est la suivante: "Ce n'est pas le fait de dépenser de l'argent pour quelqu'un qui me pose problème, c'est le fait que Dave, dans le cas présent, agisse de la manière dont il agit".
Il ne remarque même pas qu'on a payé pour acheter la nourriture. Il vient, il se sert, et point barre! Même pas merci quoi. Ca me fait une impression vraiment bizarre. J'ai à peine vingt et un ans, lui plus, et j'ai le sentiment de devoir jouer le rôle de sa mère! Il y a quelque chose de pas très normal là dedans. Surtout que quoi, soyons sincères, je ne le connais ni d'Eve ni d'Adam, et ce n'est pas la personne qui compte le plus dans ma vie. Même si j'apprécie sa compagnie à certains moments, ce genre de détails vient tout de même de plus en plus noircir le tableau, car au final j'ai l'impression que tout ce qui apparaît, c'est un manque patent de considération. Je me trompe sûrement - et j'espère d'ailleurs -, mais j'ai parfois du mal à y voir autre chose quand il agit de la sorte.

Le pire est venu aujourd'hui. Déjà que prise dans je ne sais quel stress incontrôlable, I messed up everything (renversage, débordage, etc etc.), je n'étais pas dans une bonne mood, mais mon comparse français m'a vraiment rajouté la goutte d'eau limite.
Pour une raison de manque de timing (n'ai pas pu aller à la banque) et de quelques dépenses préalables, je me suis retrouvée ce soir avec un porte-monnaie pratiquement vide. Le moment venu d'aller à Daiei, j'ai précisé que je n'avais environ que trois cents yens en poche (deux euros). Et Gandi était à peu près dans la même situation, avec environ huit cent yens (six euros). Nous sommes tout de même partis faire les courses, et je me suis contentée de regarder les deux garçons remplir le panier sans imposer de volonté personnelle. Une fois à la caisse, j'ai laissé Dave flirter du coude avec la caissière, et me suis contentée d'empaqueter les provisions. Mais cette situation est vraiment un immense "pour une fois"!
Et voilà pas que quinze secondes plus tard, je me prends ça dans la tête: "...C'est bien parce que vous n'avez pas d'argent aujourd'hui hein. Parce que j'en ai eu pour trois mille yens là".
Incroyable quoi.
J'ai répondu un truc en japonais, du style "sois pas si arrogant, tu veux", mais je ne pense pas qu'il ait compris. Anyway, j'ai été particulièrement choquée, ne serait-ce que par l'idée qu'il se sente biaisé dans l'histoire, parce qu'UNE FOIS il a payé le paquet de riz (alors que c'était SON tour et qu'on attendait depuis plus de deux semaines sans riz pour nos repas!), et de quoi préparer un repas normal.
Trois mille yens? C'est pratiquement ce que je dépense TOUS LES JOURS, pour qu'on mange tous les trois.
Et moi je vais pas ensuite voler dans un autre supermarché pour se sentir un peu moins laisé.
Crétin.
Bravo pour l'image des étrangers au Japon, tiens.

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